Matières Vivantes
Pavillon de L’Arsenal, Paris
6 Sept - 29 Oct 2023
BACK TO DIRT, déstériliser le design par le mycélium
La mycologie – l’étude des champignons – est une science jeune, seulement récemment reconnue en tant que branche à part entière de la biologie. Au fur et à mesure de sa progression, nous découvrons à quel point les champignons jouent un rôle fondamental dans les écosystèmes. Le mycélium est quant à lui la « partie cachée » des champignons, celle qui pousse sous terre – une masse entrelacée de filaments ayant la capacité de décomposer la matière organique, de régénérer les sols et de contribuer à la biodiversité des écosystèmes.
Depuis quelques années, on utilise le mycélium en design pour faire pousser des matériaux biosourcés et circulaires dans le cadre d’une démarche appelée la myco-fabrication. Si celle-ci constitue une alternative prometteuse aux méthodes de fabrication industrielles linéaires traditionnelles, Aléa a constaté un décalage entre la manière dont le mycélium est utilisé en design et le rôle qu’il joue dans les écosystèmes naturels. Mis au service du design, le mycélium est en effet généralement cultivé en isolation dans un milieu stérile, tandis que dans son environnement naturel, il se développe en interface avec la diversité présente dans le sol et y tisse des réseaux de relations avec le reste du vivant. Miriam Josi et Stella Lee Prowse ont perçu dans cette discordance une opportunité pour développer davantage la myco-fabrication en intégrant le plein potentiel du mycélium dans le processus de fabrication. Plutôt que d’isoler l’organisme cultivé, « Back to Dirt » replace le champignon dans son environnement afin d’imaginer de nouveaux modes de fabrication qui ne bénéficient pas qu’aux êtres humains"
Aléa a commencé ses recherches en la matière après avoir découvert qu’il était possible d’utiliser la terre comme moule pour faire pousser des objets avec du mycélium. En réintroduisant le mycélium dans le sol, l’organisme prospère dans son environnement premier, permettant de s’affranchir de plusieurs composantes habituelles de la myco-fabrication, notamment la stérilisation, les apports extérieurs d’énergie et l’utilisation de moules en plastique. Par ailleurs, la capacité du mycélium à régénérer les sols et y réintroduire de la biodiversité rend cette approche de la myco-fabrication plus vertueuse.
Le Prix de la résidence Boisbuchet a offert à Aléa l’opportunité d’appliquer son approche renouvelée à échelle réelle, permettant aux deux designeuses de faire pousser la première chaise myco-fabriquée sous terre en octobre 2021.
Lauréates de FAIRE 2021, Josi et Lee Prowse ont pu continuer à affiner leurs méthodes et les appliquer dans un contexte parisien. Utilisant différents échantillons de terre issus du territoire et de gisements de déchets locaux comme substrats, elles ont exploré la possibilité d’un juste milieu entre la production en extérieur et en laboratoire.
« Back to Dirt » s’interroge sur les outils, les processus et les environnements que nous utilisons dans notre collaboration avec les systèmes vivants et pose la question du partage du pouvoir de contrôle entre le designer et le matériau, entre l’humain et le non-humain, afin d’imaginer des modes de fabrication régénératifs et ancrés dans un territoire.
L’Equipe
Aléa est un studio de design expérimental et de recherche sur les matériaux basé à Paris. Miriam Josi (Suisse) et Stella Lee Prowse (Australie) ont cofondé Aléa en 2021 après avoir toutes deux obtenu un Master en Design Bio Inspiré à l’ENSCi - Les Ateliers Paris.
Leur travail met à profit des processus de croissance et de décomposition pour remettre en question l’acceptation courante de ce qui est déchet ou de ce qui est ressource, des temporalités matérielles ou encore des notions de valeur, d’éthique et d’esthétique.
Au-delà du moule
Le mycélium, l’appareil végétatif du champignon, se développe en sous-sol sous la forme de filaments entremêlés qui interagissent avec les bactéries, les racines des plantes, les roches et les sols. Il n’a pas de forme déterminée et croît de manière exponentielle à la recherche de nutriments.
La myco-fabrication consiste à mobiliser du mycélium et des déchets pour produire des matériaux bio-circulaires. Le choix du substrat détermine les propriétés du matériau, tandis que le mycélium fait office de liant et permet donc d’agglomérer le matériau. La myco-fabrication transforme des déchets en ressource et utilise la croissance du mycélium comme mode de production, permettant ainsi une production auto-assemblée, régénérative et locale.
Dans ses modes opératoires habituels, la mycofabrication est réalisée dans un milieu de culture stérile, à l'aide de moules hermétiques, le plus souvent en plastique.
« Back to Dirt » confronte les limites du pouvoir de contrôle en s’interrogeant sur les manières dont nous pourrions collaborer de manière plus réciproque avec le mycélium. Peut-on ainsi envisager l’utilisation de moules perméables, flexibles, biodégradables, voire de moules pouvant être digérés par le mycélium ?
Brouillant les frontières entre mycélium et monde extérieur, nous nous intéressons également à la possibilité de permettre au champignon de continuer à se développer y compris après la récolte de l’objet cultivé.
Ce projet imagine des pratiques de biofabrication allant au-delà de nos besoins immédiats et s’étendant à ceux des organismes, puis à ceux des écosystèmes, révélant ainsi que nos besoins et ceux du vivant sont intimement liés.
BACK TO DIRT
Alors que le mycélium prospère en milieu naturel, pourquoi avons-nous besoin de conditions stériles pour en fabriquer des objets ?
« Back to Dirt » questionne les outils, les processus et les environnements que nous utilisons dans notre « collaboration » avec le mycélium. Plutôt que d’isoler celui-ci, nous réfléchissons à la possibilité de travailler avec au sein d’un environnement moins contrôlé. Partant du constat d’une forte divergence entre la manière dont le mycélium est utilisé en design pour répondre à un besoin axé sur l’humain et son rôle écosystémique de premier plan, « Back to Dirt » s’intéresse aux possibilités d’une approche plus intégrée. Comment nos modes de fabrication et nos écosystèmes de production peuvent-ils devenir plus mutuellement bénéfiques ?
La myco-fabrication cherche généralement à recréer un environnement favorable à la croissance du mycélium par le biais de l’utilisation de moules en plastique permettant de conserver des niveaux d’humidité et de température optimaux et de mettre le matériau à l’abri du soleil. Guidée par la recherche d’une plus grande réciprocité dans les modalités de travail avec le mycélium, « Back to Dirt » explore la possibilité d’utiliser le sol directement plutôt que de chercher à recréer les conditions qui y existent.
Réintroduit dans le sol, le mycélium y coexiste et s’y développe en présence d’autres formes de vie. Le sol offre des conditions favorables à la croissance du mycélium et permet de s’affranchir de certaines composantes habituelles de la myco-fabrication, notamment la stérilisation, les apports extérieurs d’énergie et l’utilisation de moules hermétiques. « Back to Dirt » replace le mycélium dans son environnement, explorant la capacité du mycélium à régénérer les sols et réintroduire de la biodiversité et ainsi imaginer de nouveaux modes de fabrication qui ne bénéficient pas qu’aux êtres humains.
Déstériliser le Design
En quoi l’adoption de conditions non stériles contribue-t-elle à l’émergence de nouveaux récits et de nouvelles esthétiques ?
Pratiquer la myco-fabrication dans un environnement non stérile amplifie le pouvoir d’agir de l’organisme et remet ainsi en question notre propre maîtrise sur le résultat en tant que designers. En repensant les outils, conditions et espaces de travail avec le mycélium, nous nous ouvrons à l’inattendu : le mycélium guide le designer et vice versa, assurant un équilibre dans la relation de réciprocité entre le designer et le matériau.
Désign Éphémère
Si l’on perçoit souvent la longévité d'un objet comme gage de son caractère écologique, quelles opportunités existent pour du design où la durée de vie de l’objet est corrélée à son usage ? Travailler avec du mycélium exige que nous nous adaptions à une temporalité différente. En effet, il est nécessaire de coopérer avec le mycélium tout au long de son cycle de vie, aux différentes étapes de sa croissance et de son dépérissement. Le fait de considérer différentes applications possibles pour notre processus nous permet d’accepter pleinement les temporalités du mycélium et de découvrir des opportunités de design éphémère.
Quelles sont les possibilités de production d'objets à usage temporaire ? Et si nous changions d’optique et considérions nos usines comme autant de jardins où les objets pousseraient en fonction des saisons ou encore si nous faisions pousser nos objets en symbiose avec des plantes et, qu’une fois obsolètes, ils étaient rendus à la terre afin qu’ils se décomposent pour nourrir d’autres organismes ? Et finalement, une nouvelle appréciation de la matérialité éphémère pourrait-elle nous aider, nous êtres humains, à accepter notre propre impermanence ?
Photos: Nicolas Krief
https://www.pavillon-arsenal.com/fr/expositions/12799-matieres-vivantes.html